FIN DES CONTRATS EN CAE-CUI : NOUS DEVONS RÉAGIR !

FIN DES CONTRATS EN CAE-CUI : NOUS DEVONS RÉAGIR !

/ #46 Excellent article de Henri Jeanne pour Terra Nova

2010-12-09 22:51

Face à la crise, une diminution sans précédent des crédits consacrés à la politique de l'emploi
08 Décembre 2010 Par Terra Nova
Par Henri Jeanne

(pseudonyme d’un haut fonctionnaire spécialiste des questions sociales)



L'emploi demeure la première préoccupation des Français.



Le niveau du chômage n'a pas engagé la décrue dont la majorité actuelle essaie pourtant de nous convaincre (+0,6% de demandeurs d'emploi en août).



Le chômage des jeunes a également atteint un niveau record (plus de 24% pour les 15-24 ans) et contrairement aux affirmations de l'actuelle majorité n'a pas connu la décrue espérée (24,9% au 4e trimestre 2009, contre 24,1% au 2eme trimestre 2010).



Le chômage de longue durée connaît une très forte accélération + 36% de chômeurs de longue durée depuis un an. Ce chômage de longue durée risque d'avoir des conséquences dramatiques tant pour les nombreuses personnes qu'elle frappe que pour l'économie française, car il risque de nourrir un niveau de chômage structurel élevé si aucune mesure correctrice n'est prise.



Malgré ce contexte social difficile et alors que la crise économique a laissé place à une crise sociale très grave, la majorité actuelle agit à contre temps. Au lieu de dégager les marges nécessaires au retour à l'emploi des demandeurs d'emploi et des nombreux salariés ayant accepté un emploi précaire pour éviter de rester au chômage, le projet de loi de finances traduit une baisse sans précédent des moyens de la politique de l'emploi.



Par ailleurs, ce projet illustre une fois de plus l'inconstance des choix de la majorité actuelle et le peu de cas qu'il fait des collectivités territoriales et des partenaires sociaux.



1 - Le projet de loi de finances sur les questions d'emploi ne répond pas à la crise sociale qui perdure, mais au contraire risque de l'aggraver par l'austérité des mesures qu'il contient



Le budget consacré par l'Etat à la politique de l'emploi va connaître en 2011 une baisse très marquée. La non reconduction des mesures emploi du plan de relance, alors que la situation de l'emploi est loin de s'être améliorée, entrainera une baisse de plus de 5% des ressources budgétaires consacrées à cette politique.



Si on prend par ailleurs en compte la réalité des dépenses budgétaires engagées par l'Etat en 2010 (débordement budgétaire en exécution de près de 1,3 milliard d'euros), on peut estimer que les crédits consacrés par l'Etat à la politique de l'emploi diminueront de près de 15% en 2011 par rapport à 2010. Le prélèvement de 300 M€ auquel l'Etat procédera sur le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) et le transfert à l'AGEFIPH[1] de la prise en charge du marché mis en œuvre par l'AFPA sur la formation des demandeurs d'emploi handicapés (60 M€ sur 2 ans) ne réduiront in fine pas significativement cette baisse (-12% environ).



Cette forte baisse des crédits de la politique de l'emploi n'épargne aucun axe de la politique de l'emploi.



Le principal levier de lutte contre le chômage de longue durée que constituent les contrats aidés connaitra un coup de frein brutal en 2011 : -25% globalement en volumes de contrats conclus entre le PLF 2011 et les objectifs assignés au service public de l'emploi au niveau national (490 000 en 2010 : 120 000 CIE[2] et 370 000 CAE[3], contre seulement 50 000 CIE et 340 000 CAE en 2011). Cette baisse est incompréhensible au moment où le chômage de longue durée ne cesse d'augmenter. La politique de stop & go de la majorité actuelle sur les contrats aidés est préjudiciable à la construction de parcours individuels de retour à l'emploi et au travail mené par les acteurs de l'insertion, est particulièrement hypocrite puisque depuis les élections régionales les enveloppes de contrats aidés prescrits n'ont cessé de diminuer et pénalise les bons gestionnaires pour satisfaire une politique de consommation à courte vue.



Cela constitue un argument supplémentaire en faveur d'une politique de l'emploi qui ne soit pas seulement à courte vue et prétendument contra-cyclique, mais qui ait une vraie cohérence de moyen terme. Ce n'est manifestement pas le choix fait par la majorité.



En ce qui concerne les mesures spécifiques pour les jeunes, là aussi, le projet de loi de finances est particulièrement désastreux. Certes le socle des crédits consacrés aux missions locales n'est pas impacté, mais l'arrêt du programme CAF (-181,5 M€), la non reconduction des mesures de relance jeunes (-150 M€) et la fin des mesures d'incitation à l'alternance (prime à l'embauche d'un apprenti ou d'un contrat de professionnalisation...) vont limiter les perspectives de retour à l'emploi des jeunes âgés de 25 ans et moins, en particulier en zones urbaines sensibles (ZUS).



Cette baisse porte également sur les crédits consacrés à l'insertion des travailleurs handicapés ou l'insertion par l'activité économique (-3% environ), la formation professionnelle des publics fragilisés (détenus, militaires...) (-33%), le financement du réseau des Maisons de l'emploi (-50%), les crédits de prévention et d'accompagnement des restructurations (-27%), ou encore au développement de la VAE (près de 50% de baisse).



2 - Ce projet de budget traduit l'inconstance des choix de l'Etat et le peu de cas que fait le gouvernement des partenaires sociaux et des collectivités territoriales



2.1 - L'inconstance des choix de la majorité actuelle



Deux illustrations paraissent significatives :



- le budget de l'AFPA :



Depuis plusieurs années, le bouclage du budget de l'AFPA fait l'objet de tour de passe-passe permettant à l'Etat de boucler le projet de loi de finances, mais ne permettant pas à l'AFPA de mettre en œuvre dans de bonnes conditions sa nécessaire mutation. Ainsi cette année, pour boucler le budget de l'AFPA, c'est le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels qui devra intervenir à hauteur de 50 M€ pour combler la diminution de plus de 53 M€ des crédits consacrés par l'Etat à la politique de certification. Ce choix est d'autant plus paradoxal que la politique du titre du ministère de l'emploi a normalement pour objectif la promotion de titres professionnels plus facilement transférables d'un emploi à l'autre et d'une branche à l'autre que les certificats de qualification professionnelle mis en place par les branches professionnelles. Faire financer cette politique par les partenaires sociaux, c'est donner les moyens aux organismes paritaires de contester à l'Etat la légitimité de sa politique en matière de certification.



- le financement des maisons de l'emploi :



En 2005, suite au vote de la loi de cohésion sociale, l'Etat a encouragé le développement d'un réseau parallèle à ceux de l'ANPE et des Assedic à l'époque, avec pour objectif de répondre en partie aux besoins de coordination de ces acteurs en matière de placement. Pour y parvenir, l'Etat n'a pas hésité à tordre le bras aux collectivités territoriales pour obtenir un financement et un portage politique territorial loin d'être acquis à l'époque. En 2007, suite à l'élection présidentielle et dans la perspective de la mise en place de Pôle emploi, l'Etat a gelé temporairement le processus de labellisation, avant de finalement le rouvrir sur la base d'un cahier des charges recentré sur les questions de GPEC territoriale. Alors qu'aujourd'hui de nombreuses maisons de l'emploi ont réussi leur mutation et sont devenus des acteurs porteurs d'initiatives territoriales intéressantes, le projet de loi de finances en réduisant de moitié les crédits qui leur sont consacrées, les condamne à disparaître ou à trouver auprès des collectivités territoriales d'autres sources de financement. On peut craindre que les critères qui seront retenus pour répartir en 2011 les maigres crédits budgétaires sur ces structures ne le seront pas les résultats et la légitimité acquise sur les territoires, mais des considérations strictement politiques. Une fois de plus, l'Etat transfère aux collectivités territoriales de nouvelles charges et cherchera à faire peser sur elles la responsabilité des inéluctables fermetures qu'entrainera la diminution de 50% envisagée par la majorité actuelle.



2.2 - Les choix de la majorité traduisent le peu de cas qu'il fait des partenaires sociaux :



La majorité actuelle n'a de cesse de rappeler son attachement au dialogue social et la place qu'elle entend laisser aux partenaires sociaux dans l'élaboration et la mise en œuvre des orientations de la politique de l'emploi. Pourtant, sa pratique du dialogue social démontre son dédain des partenaires sociaux. Trois illustrations sont à ce titre significatives :



En ce qui concerne le budget de Pôle emploi, la majorité actuelle a réussi à préserver en apparence les moyens financiers de Pôle emploi (1,36 milliard d'euros de financement de l'Etat). Par contre, elle a décidé de diminuer les moyens .humains de Pôle emploi (réduction de 1800 agents de ses effectifs de référence) de manière beaucoup trop anticipée. Alors que le chômage de longue durée connaît une hausse sans précédent, il aurait fallu accentuer le suivi mensuel personnalisé et la prospection d'offres d'emploi auprès des entreprises. Par ailleurs, le maintien des moyens financiers de Pôle emploi n'est qu'apparent du fait du changement du périmètre d'action de Pôle emploi sur la même période. Depuis le 1er avril 2010, Pôle emploi s'est vu transférer plus d'un millier de conseillers chargés de l'orientation qui travaillaient jusque là au sein de l'AFPA, sans compensation financière de ce transfert. Cela correspond à un transfert sans compensation financière d'environ 52 M€. La diminution de la contribution de l'Etat au budget de Pôle emploi, totalement improvisée et annoncée sans ménagement au conseil d'administration de cet établissement, a été vécue par les partenaires sociaux comme une trahison au point que ceux-ci ont refusé de prendre part au vote du budget révisé de Pôle emploi. Au-delà du symptôme d'impéritie de la gestion de l'Etat, ce type de comportement affecte durablement la relation de confiance entre partenaires sociaux et Etat alors que celle-ci est plus que jamais nécessaire dans le cadre de l'évolution des politiques de l'emploi où mesures de lutte contre le chômage, formation professionnelle, action sur la qualité de l'emploi et financement des allocations doivent être pensées de manière décloisonnée.



En ce qui concerne le budget de l'Agefiph, la majorité actuelle a procédé de la même façon. L'article 97 du projet de loi de finances prévoit ainsi de transférer à l'AGEFIPH la prise en charge du lot d'un marché que l'Etat a conclu avec l'AFPA pour la mise en œuvre d'actions de formation pour des demandeurs d'emploi handicapés. Le coût total de cette mesure est ainsi estimée à 60 M€.



Enfin, en ce qui concerne les relations avec les partenaires sociaux, la mesure la plus significative prise par la majorité consiste à prévoir un prélèvement de 300 M€ sur le nouveau Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP). Ce fonds mis en place par les partenaires sociaux pour permettre la mise en œuvre d'actions de formation pour les publics les moins qualifiés et ceux qui accèdent le moins à la formation professionnelle, va se voir priver de moyens tout à fait significatifs moins d'un an après sa création, pour permettre à l'Etat de boucler son budget. Ce prélèvement est d'autant plus incompréhensible que les partenaires sociaux avaient joué le jeu en facilitant la mise en œuvre rapide du fonds. Les 300 M€ prélevés ne contribueront qu'indirectement et partiellement à des actions facilitant l'accès à la formation des actifs : 50 M€ pour la politique de certification confiée à l'AFPA, 50M€ pour Pôle emploi dans le cadre de la mise en œuvre de la convention de reclassement personnalisée, 74M€ pour le versement d'une aide pour l'embauche d'un jeune en contrat de professionnalisation avant le 31 décembre 2010, 126 M€ pour l'ASP[4] pour financer la rémunération des stagiaires de la formation professionnelle.



Ce prélèvement qui n'a d'autre intérêt que de permettre à l'Etat de boucler le moins mal possible son budget est en train d'entrainer une rupture dans le partenariat intéressant que l'Etat et les partenaires sociaux auraient pu construire dans le cadre de la mise en place du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels. Cela renforce la position des partenaires sociaux qui ne souhaitent pas jouer le jeu du partenariat avec l'Etat et risque de remettre in fine en cause l'intérêt de la mise en place du FPSPP. La position d'ores et déjà prise par certains partenaires sociaux pour 2011 sur la fixation du taux de contribution des OPCA[5] et OPACIF[6] au FPSPP démontre que la confiance a été entamée entre l'Etat et les partenaires sociaux et qu'il faudra du temps pour faire oublier ce qui a été vécu comme une trahison. Si le gouvernement n'était pas satisfait de la contribution des partenaires sociaux aux politiques de l'emploi, il aurait sans doute été préférable de réfléchir avec eux à une refondation des rôles respectifs de l'Etat et des partenaires sociaux plutôt que de procéder comme il l'a fait.



2.3 - Le projet de budget 2011 sur l'emploi traduit enfin un dédain envers les collectivités territoriales



Deux exemples :



- La diminution de 50% des crédits consacrée aux Maisons de l'emploi qui va imposer aux collectivités territoriales de prendre en charge une partie de cette diminution ou à laisser disparaître des structures dans lesquelles elles ont investi d'importants moyens financiers et humains ces dernières années,



- le gel de la Dotation globale de décentralisation :

La Dotation globale de décentralisation est censée compenser pour les Régions le coût financier des compétences qui leur ont été transférées en matière de formation professionnelle et d'apprentissage et les actions décentralisées en faveur des jeunes. La majorité actuelle a décidé de geler pendant 3 ans l'ensemble des transferts aux collectivités. Ce gel aura des conséquences importantes sur la capacité à agir des Régions qui connaissent, comme l'Etat, un contexte budgétaire difficile. Cela va entrainer de fait une diminution du nombre d'actions financées par les Régions et, compte tenu des difficultés récurrentes de Pôle emploi à prescrire des actions de formation, un resserrement des conditions d'accès des demandeurs d'emploi à la formation professionnelle. L'augmentation du chômage de longue durée aurait normalement dû entrainer un renforcement de notre capacité à envoyer en formation, notamment de reconversion, les demandeurs d'emploi. Le projet de budget agit de manière pro-cyclique à l'égard de la crise : au lieu de renforcer en 2011 la capacité à prévenir et traiter le chômage, notamment de longue durée, le budget limitera cette capacité.



2.4 - Un autre budget était pourtant possible



Au-delà des mesures d'austérité qu'il faudrait reporter à une période où le chômage sera durablement orienté à la baisse, d'autres choix auraient pu être faits :



- remise en cause de la baisse de la TVA dans le secteur de l'hôtellerie et de la restauration qui n'a pas contribué à des créations d'emplois significatives dans le secteur, à une amélioration des conditions de travail ou à une hausse des salaires dans la branche,



- remise en cause progressive de certaines exonérations de cotisations sociales : a minima, remise en cause des exonérations de cotisations sociales prévues par le projet de loi de réforme des retraites pour l'embauche de seniors. Plutôt qu'une telle mesure peu ciblée et aux effets d'aubaine incontestables, il aurait privilégié une mesure d'aide à l'embauche ciblée sur les seniors les plus en difficultés, sous le contrôle de Pôle emploi chargé de la prescription de la mesure,



- plutôt que de procéder à un prélèvement arbitraire sur le FPSPP, privilégier une négociation avec les partenaires sociaux pour faciliter le relais de ce fonds sur le financement du programme CAF (accès à la formation des jeunes) qui a démontré son efficacité, voire engager une réflexion avec eux sur les contributions de chacun au financement, au pilotage et à la mise en œuvre des politiques de l'emploi,



- privilégier une approche qualitative des contrats aidés en maintenant le volume annuel de ces contrats, mais en renforçant les mesures d'accompagnement dont bénéficient les personnes en contrats aidés,



- mettre en place des mesures exceptionnelles pour répondre à la crise sociale, avec l'aide des partenaires sociaux, plutôt que de répondre par des opérations de communication médiatique sans réelle portée concrète pour les personnes impactées par la crise.





L’exemple du plan rebond et la réponse aux chômeurs en fin de droits :



Pour répondre aux 400 000 personnes qui devraient se retrouver en fin de droits en 2010 sans prise en charge par une autre allocation, le gouvernement a communiqué sur la mise en place d’un plan rebond comportant une aide exceptionnelle censée leur apporter les moyens de faire face transitoirement à la crise. Le niveau très faible de cette aide et les conditions d’éligibilité sont tels que sur les 8 premiers mois de l’année, sur les 267 000 personnes bénéficiaires potentiels attendus sur cette période (2/3 des 400 000 attendus sur l’année 2010), seulement 3600 personnes ont bénéficié de l’aide exceptionnelle. Une réponse vraiment pas à la hauteur des enjeux… Cela démontre l’inadéquation de la réponse qu’apporte la majorité actuelle à la crise sociale que nous traversons, mais également une forme de condescendance envers partenaires sociaux en pensant qu’offrir un emploi aidé ou une formation sans débouché constitue une perspective satisfaisante. Les demandeurs d’emploi ne s’y sont pas trompés en refusant ce marché de dupes.





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