Signez le Manifeste contre le linguicide de la langue régionale d'Alsace

Manifeste contre le linguicide de la langue régionale d’Alsace[1]  

Il se parle quelque 7000 langues à travers le monde. 2500 d’entre-elles sont en voie de disparition[2]. Disparaissent celles qui ne bénéficient pas d’une existence sociale pleine et entière leur conférant valeur et dignité, c’est-à-dire une existence scolaire, médiatique, administrative, culturelle, économique ou encore cultuelle.  

Ne pas conférer une telle existence sociale à une langue, c’est la condamner à végéter d’abord, à mourir ensuite. Et lorsqu’une langue meurt, meurt avec elle la culture qu’elle véhiculait, c’est-à-dire une certaine approche et compréhension du monde et de la vie, des gens et des choses. Et, citant le philosophe Michel Serres : « Un peuple qui perd sa langue perd sa culture ; un peuple qui perd sa culture perd son identité ; un peuple qui perd son identité n’existe plus ».  

Les Alsaciens, depuis que l’Alsace est française,  ne se sont très majoritairement pas opposés au développement de la langue française dans leur région. En contrepartie, ils ont toujours souhaité et espéré voir s’installer durablement un bilinguisme collectif français-allemand. Cela ne s’est pas réalisé et n’est pas en voie de l’être. Rien d’étonnant à cela, lorsque que l’on sait que les conditions pour que vivent pleinement les langues régionales ne sont clairement pas réunies en France, notamment parce que l’on refuse à ces dernières l’existence sociale pleine et entière évoquée ci-dessus.  

Ce n’est que contraints et forcés que les Alsaciens ont progressivement renoncé à leur langue première, la langue allemande (allemand standard et variantes dialectales alémaniques et franciques). Aucune population n’abandonne librement sa langue première. Il faut pour cela une bonne part de contrainte objective et subjective. Pour faire changer de langue à une population, il faut faire intervenir plusieurs facteurs : diminuer le nombre de locuteurs et les fonctions de la langue dominée, dévaluer sa fonction identitaire et obtenir la légitimation de cette politique. Le changement de langue peut se faire par rupture (d’une génération à l’autre) ou de façon continue (par un lent processus d’absorption). Le changement est d’autant plus rapide que les deux phénomènes s’additionnent. C’est notamment le cas en Alsace.  

Quand la France ne réunit pas les conditions nécessaires à la survie des langues régionales, c’est tout simplement qu’elle la leur refuse au nom d’une certaine conception de la nation qui lui est propre, en comparaison avec celle d’autres nations qui l’environnent. En France, l’identité nationale s’est fondée essentiellement sur des données objectives de langue, d’histoire et de culture, c’est-à-dire sur celle d’un peuple unique qui donc n’a ou ne peut avoir d’autres langues, d’autres histoires ou d’autres cultures et que l’existence de groupes spécifiques de locuteurs[3] sur un espace donné se doit d’être niée.[4]  

Quand aucun réel effort n'est entrepris par l'État pour faire vivre ou promouvoir la langue régionale d’Alsace il commet un linguicide. Par linguicide, nous entendons l’éradication planifiée et organisée de la langue régionale d’Alsace, à savoir de la langue allemande sous sa forme standard et ses variantes dialectales. Et même si ce linguicide n’a pas été extrêmement brutal, il n’en est pas moins un. Le résultat en est que la connaissance et la pratique  de la langue régionale est au plus bas et que donc les Alsaciens n'ont pas pu tirer profit de la forte efficience sociale, culturelle et économique que confère un bilinguisme collectif, la France  non plus d'ailleurs. Il s'agit-là, non seulement d’un énorme gâchis, mais d'une faute !    

Nous, signataires du présent manifeste, demandons à l’État d'arrêter ce linguicide et de mettre en place une véritable politique de revitalisation et de restauration de la langue régionale d’Alsace.     

Les tout premiers signataires : - Pierre Klein, président de l’ICA (Initiative citoyenne alsacienne), essayiste. - Berg Jean-Pierre, vice-président de l’ICA. - Ulsemer Bernard, vice-président de l’ICA. - Kintz Patrick, vice-président de l’ICA. - Schaeffer Jean-Marie, vice-président de l’ICA. - Huber Christian, vice-président du Comité fédéral des langues germaniques de France. - Morgenthaler Rémy, auteur, président de Heimetsproch ùn Tràdition. - Zeter Jean-Daniel, maire honoraire, ancien vice-président du CG du Bas-Rhin, président du CPA (Club Perspectives Alsaciennes). - Fritsch Frédéric, - Baumann René, vice- président de l’ICA. - Peter Jean, président de OMA (Association de parents d’élèves). - Metzger Christiane présidente du FILAL. - Niedermeyer Jean-Michel, professeur bilingue e.r. - Weiss François, docteur en linguistique, ancien Attaché linguistique et intervenant au Conseil de l’Europe. - Kresser Willy, ingénieur. - Muringer Daniel, musicien, syndicaliste. - Huber Marie-Christine, médecin, vice-présidente de l’ICA. - Matz Bénédicte, pédiatre, vice-présidente du Club Perspectives Alsaciennes. - Wittmann Bernard, auteur, vice-président de l’IDEAG. - Diringer Claude, poète. - Elsass Philippe, Conseiller municipal de Rosheim. - Baschung Guy militant Alsacien. - Lehmann Alexis, ex Président National Santé de la Fédération Française des Sociétés d’Assurance, Officier de la Légion d’honneur, Fondateur du projet Life Valley. - Chaudeur Marc, écrivain et philosophe. - Woehrling Jean-Marie, membre de Culture et Bilinguisme d’Alsace et de Moselle  René Schickele Gesellschaft. - Picaper, Jean-Paul, président de l'association "C'l'Europe" (Strasbourg). - Jacques Paul Klein, Ambassadeur, Secrétaire général adjoint des Nations unies ((Ret.). 

Note 1 de bas de page

[1] À savoir la langue allemande sous sa forme standard et ses variantes dialectales alémaniques et franciques.  

[2] Selon l’UNESCO.

[3] Cf. Décision du CC n° 99-412 DC du 15 juin 1999.

[4] C’est la conception jacobine, quasi ethnique de la nation, née de la centralisation monarchique et du raidissement révolutionnaire et qui s’inscrit en faux contre le très européen principe d’union dans la diversité qui notamment « interdit » à la France de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Encore une particularité française.

Annexe

Déroulé du rejet de la germanophonie alsacienne et partant du bilinguisme collectif français-allemand (standard et dialectes)   À son entrée en Alsace en 1648[1], la France y rencontre une population non seulement hautement cultivée, mais de langue et de culture allemandes.  La langue allemande y est en effet en usage à tous les niveaux de la société et l’Alsace participe pleinement à la culture allemande. Elle y a même apporté des contributions majeures.  

Alors que dans d’autres pays du royaume, la monarchie s’était plutôt montrée arrangeante avec les langues qui y étaient en usage et avec la diversité culturelle, ce ne sera pas le cas en Alsace où l’élite n’est pas encore francisée ni de culture française, en tout cas pas uniquement, donc de culture étrangère au moment de l’annexion, de surcroit de celle de l’ennemi[2].  

La France s’empresse non seulement d’introduire l’application de l’ordonnance de Villers-Cotterêts[3], mais dès 1685 le Conseil d’État prononce l’interdiction de la langue allemande « dans les Procédures, les Actes, Contrats et autres expéditions… à peine de nullité … et de 500 livres d’amende ». Si elle a le souci de rompre les liens institutionnels qui unissent les deux rives du Rhin, elle a aussi et surtout celui du changement de culture en faveur de la culture française[4].  

Les pires menaces contre la langue et la culture allemandes apparaissent sous la Révolution au moment de la Terreur. Elles s’atténueront par la suite.  

La mise en place du français dans les écoles primaires commence véritablement en 1833 en tant que matière, l’enseignement s’y poursuit comme de tout temps en allemand. En 1853, le français devient langue d’enseignement, l’allemand restant langue enseignée 35 minutes par jour.  

Durant la période du Reichsland de 1871 à 1918, la langue allemande a été boostée, sans que la langue française[5] ne soit éliminée pour autant. Les classes sociales qui l’utilisaient avant 1870 vont continuer à l’utiliser durant cette période au point que la synthèse entre la classe bourgeoise vieille-allemande[6] et l’alsacienne ne prendra pas vraiment. Une double culture s’installe et porte de beaux fruits.  

En 1920, l’allemand est banni des écoles de ces villages et dans le restant de l’Alsace, il est enseigné à raison de 3 heures hebdomadaires à partir de la 3ème année de l’école primaire. À partir de 1927, il le sera avec le même horaire à partir du 2ème semestre de la deuxième année. Il devient matière obligatoire au certificat d’études[7]. Cependant, dans une Instruction aux inspecteurs, le recteur Christian Pfister formule l’espoir que « ... ceux-ci (les enfants) devenus grands parleront le français avec leurs enfants et correspondront avec eux en cette langue ».  

En 1940, l’Alsace est annexée de fait au IIIe Reich. Le français est prohibé strictement. Cette annexion, en fait un Anschluss, va occasionner un véritable traumatisme qui amènera nombre d’Alsaciens à renier la part allemande de leur identité.   Ce phénomène psychosociologique a été accompagné en 1945 de lourds interdits linguistiques à l’encontre de la langue allemande standard.

Ces interdits prononcés en 1945, interdits scolaires[8], interdits médiatiques[9] et interdits culturels constituèrent un tort immense fait à l’identité linguistique alsacienne et une violence psychologique faite aux Alsaciennes et aux Alsaciens.   Rien ne justifiait d’orienter les choses différemment de ce qu’elles étaient avant 1940[10], sinon la volonté inavouée de poser les jalons pour un alignement sur le monolinguisme[11] déjà bien installé ailleurs en France et de mettre fin à une exception alsacienne.  

Malgré de louables mesures prises depuis 1972[12] en faveur de la langue régionale d’Alsace, celles-ci ont été bien insuffisantes pour gagner en locuteurs et redresser la barre. Il a manqué en premier lieu une approche de valorisation du bilinguisme et un discours de positivation par rapport au refoulement installé depuis 1945. Il a manqué un débat qui aurait permis un travail collectif sur l’identité alsacienne. Il a manqué un enseignement généralisé de la langue, tant standard que dialectale, de l’histoire politique, linguistique et culturelle de l’Alsace. Pour finir, il a manqué une reconnaissance et une pratique officielle de la langue qui auraient entraîné une modification profonde de la relation entretenue par ses utilisateurs avec elle.  

Aussi, nous trouvons-nous aujourd’hui sur un véritable champ de ruines linguistiques et culturelles. Les jacobins sont-ils condamnés à gagner toujours ? Reconnaître le tort fait, c’est commencer à le réparer. Connaître le tort et ne pas vouloir le réparer, c’est persister.

Note 2 de bas de page

  [1] Une conquête du roi en Allemagne (Traités de Westphalie).

[2] D'ailleurs, et probablement pour les mêmes raisons, il n'y en avait pas non plus à ce moment-là dans les Flandres et le Roussillon, ni plus tard en Corse et dans le comté de Nice ... où, comme en Alsace, l'élite n'était pas encore francisée au moment de l'annexion et n'appartenait pas à la culture française.

[3] C’est-à-dire l’usage du français en matière juridique, étendu par la suite à l’administration.

[4] «  Comme il est de conséquence d’accoutumer les peuples des pays cédés au roi par le traité de Munster à nos mœurs et à nos coutumes, il n’y a rien qui puisse y contribuer davantage qu’en faisant en sorte que les enfants apprennent la langue française... » (Colbert Charles, marquis de Croissy, 1666).

[5] À noter que cette langue restera enseignée en tant que langue première dans les villages romanophones des vallées.

[6] Vieux-allemands, c’est ainsi que l’on appellera les Allemands de l’autre rive installés en Alsace.

[7] À noter que l’enseignement religieux se fait en allemand (4 heures/semaine).

[8] Arrêté rectoral de 1945 supprimant –provisoirement- l’enseignement de l’allemand.  Il est donc mis fin à la réglementation de 1927.  En même temps les cours de religion doivent être faits en français.

[9] Ordonnance du 13 septembre 1945.

[10] Ce que confirmait en mai 1947 le Conseil général du Bas-Rhin qui demandait la réintroduction d’un enseignement de l’allemand dans les écoles primaires d’Alsace avec retour au règlement en vigueur en 1939 (notamment enseignement obligatoire et épreuve obligatoire au certificat de fin d’études).

[11] L’objectif de ces interdits était de toute évidence de mettre fin à terme rapproché à une exception alsacienne où la langue française ne bénéficiait pas avant 1940 du monopole linguistique et culturel en cours dans le reste du pays, et aussi à un accès à une autre grande langue et à une autre grande culture que la française, à savoir l’allemande. Une fois cela accompli, le standard allemand devait apparaître aux yeux des Alsaciens comme une langue étrangère et la culture allemande comme une terra incognita.  Dans ce schéma les dialectes d’Alsace, une fois découplés de la langue et de la culture desquelles ils participaient étaient condamnés à un appauvrissement d’abord qualitatif puis quantitatif et à une « patoitisation » et donc l’inutilité et enfin à l’inutilisation.

[12] Notamment à l’école avec à cette date l’introduction de la méthode Holderith, puis avec les préconisations des circulaires Deyon de 1982 et 1985.


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