Pétition pour défendre le projet de lʼÉcole dʼArt dʼAvignon

 

Lettre ouverte à Madame la Ministre de la Culture, et à Madame le Maire dʼAvignon, pour soutenir
le projet de lʼEcole Supérieure dʼArt dʼAvignon, « Une autre école », proposé par Jean-Marc Ferrari

(open letter in english)

Une tribune libre publiée il y a deux jours dans le Quotidien de lʼart et signée par des personnalités aussi diverses
que Jean de Loisy, président du Palais de Tokyo, Arnaud Labelle-Rojoux, artiste, Pierre-Jean Galdin,
directeur de lʼÉcole Supérieure des Beaux-Arts de Nantes, Yves Le Fur, directeur du patrimoine et des collections
du musée du quai Branly, Béatrice Salmon, directrice des musées des Arts décoratifs, Éric Mangion, directeur
du Centre dʼart de la Villa Arson, Hortense Archambault, codirectrice du Festival dʼAvignon et Boris Charmatz,
chorégraphe, directeur du musée de la Danse de Rennes, a alerté lʼopinion sur le péril dans lequelle se trouve
lʼEcole dʼart si son projet « Une autre école » se voyait abandonné, alors même quʼil sʼinscrit dans la continuité
de son histoire.

Il nous paraît essentiel que les artistes, les anciens et actuels étudiants de lʼEcole, les membres du personnel,
les enseignants, mais aussi les acteurs de la scène artistique au sens le plus large, signent cette pétition visant
à soutenir lʼambition novatrice de ce projet.

Car lʼÉcole Supérieure dʼArt dʼAvignon a une histoire. Ou plutôt est une histoire. Une histoire quasi légendaire,
celle dʼune école inventant, sous lʼemprise de nécessités contextuelles diverses - structurelles, territoriales,
patrimoniales, économiques -, une autre façon de penser, dʼenseigner et de pratiquer lʼart. Cela lui a évité jusquʼà
présent, et lui évitera encore, dʼêtre mangée toute crue par des réformes qui, pour être nécessaires, ne placent
évidemment pas chacune dans la même situation. Singulière dans le paysage des écoles dʼart françaises, celle
dʼAvignon est exemplaire dʼune constante réactivité critique dans un contexte culturel fécondant, quoique complexe.
On y reviendra bien sûr, mais rappelons auparavant à toutes fins utiles aux vrais et faux amnésiques quelques
données qui feront vite comprendre cette notion de « réactivité critique», quʼon pourrait tout aussi bien appeler
« recherche », mot plus rassurant sans doute, celui-là en tout cas parfaitement conforme aux débats du moment
sur lʼenseignement de lʼart ; la vérité lʼexige, lorsquʼon lit ici et là les libelles poussifs destinés à enterrer le futur
projet dʼécole, biaisant sans scrupules des faits connus de tous ceux qui ont un jour enseigné à Avignon. Quand
dʼautres établissements se sont appuyés sur des apprentissages techniques dʼateliers et des acquis théoriques
fonctionnels, cʼest en effet sur une base méthodologique volontairement plus spéculative, que sʼy est développée,
cela dès les années 90, une recherche axée sur lʼapparition et la disparition de lʼoeuvre.

La question de la performance et des arts éphémères - ceux du spectacle, en particulier -, et lʼinterrogation sur
lʼhypothétique résistance au temps au travers du département de restauration des oeuvres dʼart, se sont de fait,
dʼemblée, trouvées au coeur des projets pédagogiques de lʼécole dʼart dʼAvignon. Ainsi, le vertige que constitue
la création, les conditions de son émergence, son existence et son oubli, ont-ils naturellement conduit à interroger
les modes de transmission de connaissances et même les champs de compétences. Un colloque réuni en 1992
lors du festival dʼAvignon au Palais des Papes, « Arts de la Scène/Scène de lʼArt », instaura une première base
de réflexion. Quʼen était-il de la représentation et du paraître, de lʼart en tant quʼaction et de la présence corporelle
face aux enjeux spécifiques des productions scéniques, de lʼinterdisciplinarité et de lʼexpérimentation, des récits
passés à la trappe de lʼhistoire et ceux de la mémoire retrouvée : ces thèmes et quelques autres furent abordés
par les artistes, écrivains, historiens dʼart et scénographes invités. Des approches plus aventureuses dans leurs
présupposés esthétiques et leur modalité dʼexpression allaient suivre. Nombreuses. En 1998, lʼécole, auparavant
située dans lʼancienne « Caserne des Passagers » emménage dans lʼHôtel de Montfaucon, belle bâtisse du
XVIIIème siècle jusquʼalors occupée par lʼUniversité dʻAvignon. En 2000, la Collection Lambert sʼinstalle dans
lʼHôtel de Caumont voisin, instituant dès lors à Avignon la présence incontestablement vivifiante de lʼart
contemporain. La Collection Lambert a permis, depuis cette date, aux étudiants artistes et futurs restaurateurs
de se confronter directement aux oeuvres, avec, pour lʼécole, la mise en place dʼun partenariat durable.

Ce nʼest pas la bougeotte comme idéal, un goût du changement pour le changement, une lubie de directeur, qui,
moins de quinze ans après cet emménagement à lʼHôtel de Montfaucon, imposent à lʼEcole Supérieure dʼArt
dʼAvignon un nouveau déménagement et, avec, un nouveau projet dʼécole, mais la volonté de la ville dʼAvignon
et de lʼEtat dʼétendre les espaces de la Collection Lambert à ses locaux. Cette situation oblige une fois encore à
porter la vue au loin ; à imaginer des formules originales ; à réinventer autrement ce qui fait lʼhéritage et la
singularité de lʼécole : sa capacité poétique à penser lʼart dans le temps, lʼespace, le mouvement.
La nouvelle école, qui sera construite en périphérie de la ville, jouxtera un autre lieu, lui aussi en devenir, inscrit
dans lʼidentité avignonnaise à travers son Festival, la FabricA, lieu de répétitions par ailleurs destiné à accueillir
des résidences dʼartistes. Cʼest donc le « spectacle vivant » qui sera cette fois directement mis en regard des
problématiques que lʼécole dʼart développera. Seulement, le chantier dʼextension de la Collection Lambert, qui
démarrera en janvier 2014, implique, pour des raisons de calendrier, que l’école d’art ne pourra pas avoir de
véritable point de chute avant la fin de cette année-là. Faute de locaux immédiatement accessibles, le projet
« une autre école », lié à cette implantation, propose une phase transitoire : celle dʼune école nomade supérieure,
mobile, étoilée et en réseau avec tous ses partenaires tels que le Festival, lʼUniversité dʼAvignon, la Collection
Lambert, le Palais de Tokyo, le Centre Pompidou-Metz, le Musée du Quai Branly ainsi que dʼautres écoles et
institutions du monde artistique… Intégrant la situation du moment vécu comme un enjeu de création, à partir
de pratiques artistiques « collaboratives et participatives », cette dimension, se rapportant à lʼaction, inquiète.
Déroute. Lʼentreprise semble hasardeuse et la quête, pour tout dire, trop inspirée. Sur ces points, les opposants
au projet doivent être lucides : le futur parle au nom du passé de lʼécole : celle de demain perçait évidemment
déjà au fil des années 90, dans les vieux murs de la « Caserne des Passagers ».

Lʼidéal dʼart que porte Jean-Marc Ferrari, aujourdʼhui dépositaire de cette histoire, sʼinscrit dans la continuité des
grands mouvements visant le dépassement de lʼart non comme sa fin mais comme son accomplissement. Fluxus
et lʼInternationale Situationniste ne sont pas que des oeuvres muséales et des livres de citations, mais des
mouvements qui se sont servis de lʼart comme dʼun outil pour précisément penser le monde et ses mutations,
pour interroger la vie et redéfinir lʼart en tant que valeur dʼusage. La réappropriation du réel est au coeur du
nouveau projet ; tout concourt à faire de la situation la condition de lʼoeuvre. Cʼest en somme ce témoin que fait
passer le projet « Une autre école », lequel ne cultive pas sans raison une rhétorique lyrique que dʼaucuns se
plaisent à railler : il sʼinscrit clairement dans la continuité pédagogique dʼutopies réalisées, sʼappuyant sur
lʼexpérience et la dimension participative tel le Black Mountain College, en résonnance avec les théories développées
par John Dewey, dont le livre fondamental, Art as Experience, eut lʼinfluence que lʼon sait sur Jackson Pollock, Allan
Kaprow et naturellement John Cage. Nul, naturellement, nʼest obligé de partager cette conception de lʼart, pourtant
essentielle à la compréhension de son histoire de ces 50 dernières années, mais cʼest assurément une chance
exceptionnelle pour une école dʼart française aujourdʼhui, dans le contexte normatif du moment, de pouvoir
reprendre ce flambeau théorique, et surtout de mettre réellement en pratique la formule duelle dʼAllan Kaprow :
« Lʼart non séparé de lʼexpérience »/« lʼenvironnement processus dʼinteraction ». Cʼest cela que doivent venir
chercher, pleinement conscients, les étudiants inscrits à lʼEcole Supérieure dʼArt dʼAvignon. Encore faut-il ne pas
confondre académisme et enseignement.

Aujourdʼhui, le projet « une autre école », répondant aux travaux expérimentaux lancés par lʼécole depuis vingt ans,
poursuit lʼessence même de ce que nous attendons de lʼart, la possibilité de penser autrement, profondément et
dʼêtre transformé. Pour le paysage culturel français, la liberté, la singularité, la poésie de lʼécole vécue et imaginée
par Jean Marc Ferrari et ses collaborateurs est indispensable. Et cʼest pour défendre cette conception de lʼart et de son
enseignement que nous signons cette lettre ouverte…


Arnaud Labelle-Rojoux, artiste-chercheur associé à l'ESAA, Nicolas Gruppo, artiste-enseignant à l'ESAA