PETITION DES MEDECINS CONTRE L'EPANDAGE AERIEN DE PESTICIDES

LETTRE OUVERTE DES MEDECINS ANTILLAIS ET METROPOLITAINS AUX POUVOIRS  PUBLICS


Si vous souhaitez signer une pétition contre l'épandage aérien mais que vous n'êtes pas médecins, vous pouvez signer ici : http://www.medialternative.fr/campagne/8-2/

 

Médecins,

Nous souhaitons manifester notre mécontentement et interpeller les pouvoirs publics suite aux nouvelles dérogations annuelles à l'interdiction de l'épandage aérien de pesticides, délivrées le 29/04/2013 en Guadeloupe et le 26/02/2013 en Martinique, et leur usage massif aux Antilles, afin de mettre en avant la dimension sanitaire dans le débat. Une dérogation a également été délivrée en Gironde le 14 mai 2013.

Cette pétition avait également été réalisée par nos confrères du Limousin en mars 2013 dont nous avons le soutien et de l’Ontario au Canada (juin 2012). La dimension environnementale est elle-aussi incontournable.

Nous tenons à préciser que nous ne cherchons pas à montrer du doigt une profession, mais que chacun doit prendre ses responsabilités. C’est à nous d’assumer les nôtres en alertant sur les dangers de ces produits et de leur effet « cocktail » particulièrement toxique pour certaines catégories fragiles de la population notamment celles qui y sont le plus exposées, les femmes enceintes et les enfants.

Des liens sont établis en milieu professionnel mais aussi chez les habitants proches des zones agricoles entre l’utilisation de pesticides et certaines pathologies :

  • des cancers :
    « Les expositions professionnelles aux pesticides ont été plus particulièrement mises en cause dans les hémopathies malignes lymphoïdes. Des études en populations agricoles suggèrent leur implication dans les tumeurs cérébrales et dans les cancers hormono-dépendants  (cancers de la prostate, du sein, des testicules, de
    l’ovaire »(1)). Chez l’enfant, l’utilisation domestique de pesticides, notamment d’insecticides domestiques, par la mère pendant la grossesse et pendant l’enfance a été régulièrement associée aux leucémies et, à un moindre degré, aux tumeurs cérébrales(1). Les myélomes sont plus fréquents dans le Nord de la Martinique que dans les zones non agricoles. De plus, une thèse récente guadeloupéenne (1) fait état de plus de lymphomes sur les zones agricoles de Matouba/ La Regrettée/Port Louis/Petit Bourg qu’à Basse Terre par exemple. Comment l’explique-t-on ? La population n’est pourtant pas plus âgée comme le sont celles de Deshaies ou Pointe à Pitre qui présentent aussi des taux de lymphomes plus élevés. Des études supplémentaires sont indispensables.
  • des troubles neurologiques comme la maladie de Parkinson maintenant reconnue maladie professionnelle chez l’agriculteur (2) ou de troubles métaboliques comme l'obésité.
  • des manifestations allergiques et d'infertilités majorées chez les agriculteurs et femmes d’agriculteurs (3) Malheureusement, aucune étude ne porte sur les manifestations allergiques des enfants qui habitent sous le vent des zones agricoles aux Antilles.

Peu d’études ont porté sur l’ensemble de la population et les riverains mais plusieurs montrent toutefois que des expositions environnementales sont susceptibles de causer des pathologies comme le cancer de prostate aux Antilles avec la chlordecone (4) ou des maladies de Parkinson chez des riverains exposés à des fongicides de la famille des carbamates et du paraquat (5).

Surtout il faut rappeler, comme l’a fait l’INSERM que « près d’un millier de molécules ont été mises sur le marché
en France et que les risques liés à ces molécules ne peuvent être évalués faute de données toxicologiques et épidémiologiques suffisantes»(1). Les évaluations des risques sont de plus faites par les firmes elle-même. Les
scandales du Mediator ou des pilules de 3e-4e génération montrent combien les AMM ne sont pas autant analysées qu’elles devraient l’être et que les conflits d’intérêt sont courants chez les experts (http://www.lemonde.fr/planete/article/2012/12/13/le-dernier-groupe-d-experts-constitue-par-l-efsa-mis-en-cause-pour-des-conflits-d-interets_1806161_3244.html)

En avril 2013, l’InVS a prouvé que les Français sont plus exposés à certains pesticides que les Américains, les Canadiens ou encore les Allemands (5). Or, et personne ne le conteste, l’imprégnation de la population est générale,
surtout aux Antilles
: les pesticides ont largement contaminé l’environnement, aussi bien les eaux de surface que les eaux de pluie, aussi bien les sols que nos organismes (90% de la population française est contaminée par les organophosphorés) (5). Dans la cohorte PELAGIE en Bretagne, seuls 1,6% des échantillons d’urine de femmes
enceintes ne contiennent pas de trace des pesticides recherchés (6).

Il existe encore même des dépassements en chlordécone des « normes sanitaires » dans l’eau potable en Sud Basse Terre en Guadeloupe quand les charbons actifs sont saturés (sources soldat, belle terre, capes, gommier) sans que la
population ne soit prévenue. Les rythmes triannuels de contrôle de cette pollution sont insuffisants sur certains captages (source Soldat) et les dépassements des normes sanitaires (qui pour le chlordécone a été fixé arbitrairement inférieur à 0.1ug/l) peuvent durer plusieurs jours. Le 9/11/2010, 17/10/2011 et le 9/08/2012, l’eau était ainsi classée en non-conformité chimique de ce fait et la municipalité de Vieux-Fort, mise en demeure de faire des études de protection de périmètres de captages qui ne sont toujours pas lancées. La population a été prévenue mi 2012 pour le dépassement
de 2011 et n’a pas été prévenue en 2012..Les contrôles sanitaires de l’eau pour chaque ville sont disponibles sur ce site : http://www.sante.gouv.fr/resultats-du-controle-sanitaire-de-la-qualite-de-l-eau-potable.html
.

Mais si l’on retrouve une imprégnation à «  faibles doses »  dans la population générale, cela n’est pas
rassurant pour autant
: en effet de nombreux pesticides sont des perturbateurs endocriniens, substances chimiques  soupçonnées d'être l’une des  causes de la recrudescence de certains troubles (infertilité, cancers hormonodépendants, obésité, dysthyroidie). Parce que leurs effets ne dépendent pas de la dose, mais de la période d’exposition (in utero et dans l’enfance surtout), qu’ils ne sont pas linéaires, qu’ils s’ajoutent à ceux d’autres substances (effet cocktail) et qu’ils sont susceptibles d’être transgénérationnels, les perturbateurs endocriniens sont au centre d'une attention grandissante comme l’a reconnu Madame Delphine Batho, ministre de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie lors du colloque international sur les perturbateurs endocriniens des 10 et 11 décembre 2012 (7).

Or, comme le souligne le rapport sénatorial sur les pesticides et la santé du 23/10/2012 (8), le cadre réglementaire européen ne protège ni les agriculteurs ni les consommateurs puisque l’Union Européenne n’a toujours pas validé de
méthode permettant de déterminer si un pesticide est un perturbateur endocrinien ou non.

Les Antilles consomment encore trois fois plus de pesticides par unité de surface qu’en Métropole d’après un rapport DEAL 2011 sur la qualité des ressources naturelles (9). Le chlordécone et certains fongicides utilisés dans
les bananeraies et dans la culture du melon sont reconnus comme des perturbateurs endocriniens. Les dérivés benzéniques contenus à 60% dans les pesticides utilisés en épandage aérien sont aussi reconnus comme inducteurs d’hémopathies.

Il faudra donc beaucoup d’études, beaucoup d’argent et beaucoup de temps pour objectiver plus avant ces risques sanitaires que l’on peut craindre dévastateurs.

Aussi nous souhaitons poser deux questions simples :

-  Peut-on s’abstenir de prendre des précautions dès maintenant ?

Ce serait à nos yeux totalement inconséquent et irresponsable.

Des alternatives, économiquement viables sont-elles possibles ?

Nous pensons que oui. Les subventions européennes devraient essentiellement être distribuées aux agriculteurs biologiques respectueux de l’environnement. Il est évident que l’effeuillage sévère hebdomadaire (3 à 5 feuilles par tronc)-brûlage des feuilles de bananiers, l'espacement des plants et l’arrêt des monocultures intensives participent de façon viable au maintien d’un environnement sain.

C’est pourquoi les médecins signataires de ce texte se déclarent :

-  Solidaires des demandes d’arrêt des dérogations à l’interdiction des épandages aériens
(10) et des mesures de réduction des risques vis à vis des populations vivant à proximité des cultures à forte utilisation de pesticides
(augmentation au minimum des distances de sécurité avec les habitations de 50 mètres comme actuellement, à 300 mètres comme en Belgique) et vis-à-vis des agriculteurs (information sur les risques des
produits, sur l’usage des protections individuelles par des institutions distinctes des vendeurs et obligation de licence pour épandre les pesticides). Sur le plan légal obligatoire en France avec la mise en place du plan Certiphyto, tout utilisateur professionnel de pesticides doit suivre un cycle de formation à partir de 2013 ou 2014 selon les catégories d’utilisateurs, par des formateurs agréés, qu’il doit valider. On ne peut plus utiliser des pesticides n’importe où et à n’importe quelle dose.(http://agriculture.gouv.fr/CERTIPHYTO-Un-certificat-produits)

Solidaires des collectivités territoriales signataires de la charte zéro pesticide.

Solidaires de toutes les initiatives qui permettront une transition vers des filières agricoles n’utilisant pas de pesticides. A ce titre l’introduction de l’alimentation biologique dans les cantines scolaires nous parait un moyen à la fois d’obéir à un principe de sécurité sanitaire et de structurer des filières utilisant les principes de l’agroécologie.

Solidaires de tous les projets de transition de l’agriculture qui se proposent de stopper et
d’inverser le processus de concentration des exploitations et d'y favoriser devmanière significative l'accroissement de l'emploi agricole, condition incontournable d’une diminution réellement globale de l’utilisation des pesticides.

- Et enfin demandent une formation spécifique dans les universités sur les risque liés à l'exposition chronique de ces produits et des études spécifiques des populations surexposées habitant sous le vent des zones agricoles, des familles nombreuses, mangeuses de racines et/ou ayant vécu dans des zones où les dépassements sanitaires en chlordécone dans l’eau potable avant les années 2001 ont été maximales (notamment Gourbeyre, Trois-Rivières et Vieux Fort en Guadeloupe). Ces études devront prendre en compte les effets cliniques des perturbateurs endocriniens.


Nous demandons que nos Régions Guadeloupe et Martinique s’engagent résolument vers l’objectif d’une réduction de 50 % des pesticides à l’horizon 2020 et que les personnalités politiques prennent position avant les élections municipales sur les dérogations annuelles à l’interdiction de l’épandage aérien de pesticides aux Antilles.

Références:

(1)     Expertise INSERM « cancers et environnement » octobre 2008 et « Pesticides, effets sur la santé » Expertise INSERM, juin 2013, http://www.inserm.fr/actualites/rubriques/actualites-societe/pesticides-effets-sur-la-sante-une-expertise-collective-de-l-inserm

Besson C, Incidence of hematological malignancies in Martinique, French West Indies, overrepresentation of multiple myeloma and adult T cell leukemia/lymphoma. Leukemia. mai 2001;15(5):828-831.

Balaguier R. LMNH et Myélomes en Guadeloupe : Répartition géographique, Caractéristiques cliniques, répartition géographique et survie des patients : analyse des données du registre des cancers sur la période 2008-2010, Thèse N° 13AGUY0590, 15/04/2013.

(2) Inscrite au tableau des maladies professionnelles agricoles depuis 2011. La Recherche septembre 2009, Les pesticides doublent le risque de maladie de Parkinson. S Costello et al, American Journal of Epidémiologie,169, 919, 2009

(3)    Pesticide use and adult-onset asthma among male farmers in the Agricultural Health Study Jane A. Hoppin,1Eur
Respir J. 2009 December; 34(6): 1296.


(4) BEH 08-02-2011(bulletin épidémiologique hebdomadaire édité par l’INVS : Institut National de Veille Sanitaire) Chlordecone aux Antilles : bilan actualisé des risques sanitaires

(5) http://www.invs.sante.fr/fr/Espace-presse/Communiques-de-presse/2013/Exposition-de-la-population-francaise-aux-pesticides-et-PCB-NDL Institut national de veille sanitaire (INVS) « Exposition de la population française aux polluants de l’environnement  » (volet environnemental de l’étude nationale Nutrition Santé, septembre 2010). Disponible à l’adresse : www.invs.sante.fr

(6)     BEH : du 16 juin 2009

(7)     Discours de Delphine BATHO Ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie.  Discours d’ouverture de la Ministre lors du colloque international sur les perturbateurs endocriniens des 10 et 11 décembre 2012 dans le cadre du Programme National de Recherche sur les Perturbateurs Endocriniens.

(8)     Rapport sénatorial adopté à l’unanimité des groupes politiques au sénat : « Pesticides, vers le risque zéro », accessible sur le site du sénat : http://www.senat.fr/les_actus_en_detail/article/-981e5dad66.html Ce rapport dresse cinq constats : - les dangers et les risques des pesticides sont sous-évalués - la nécessité d’améliorer la procédure d’autorisation de mise sur le marché des pesticides (AMM) et le suivi post AMM - l’absence de protection contre les pesticides à la hauteur des dangers et des risques - la nécessiter de mieux cerner les limites des
modèles et des pratiques industriels, commerciaux et agricoles - revoir le plan Ecophyto 2018 : conçu à la suite du Grenelle de l’Environnement en 2008 pour permettre une division par deux de la quantité de pesticides utilisée par la France à l’horizon 2018, la mission sénatoriale a en effet constaté qu’au tiers de la durée de ce plan l’usage avait augmenté au lieu de se réduire.

(9) DEAL Guadeloupe ch. 4 la qualité des milieux profil environnemental régional de la Guadeloupe 2011 p14/32 Source : http://www.guadeloupe.developpement-durable.gouv.fr/etat-de-l-environnement-2011-a17.html)

(10)  Depuis 2009, Ii existe un principe général européen d’interdiction des épandages de pesticides par aéronefs mais les Préfectures peuvent accorder localement des dérogations temporaires et limitée dans le temps lorsque cette technique
présente des avantages manifestes pour la santé et l’environnement. Le rapport sénatorial réclame également la fin de ces dérogations.



 


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