LETTRE A L'EURODEPUTE JO LEINEN

Monsieur Jo LEINEN

Député européen

Parlement européen

Rue Wiertz ASP 12G205

B – 1047 – BRUXELLES

 

Le (date du jour)

 

Monsieur le Député européen,

Dans une interview au journal « The Guardian », « vous avez évoqué la nécessité d’une Directive européenne sur  la qualité de l’énergie ; ce qui impliquerait que les carburants ayant des effets néfastes sur l’environnement, tels que les gaz et huile de roche mère et les schistes bitumeux ; seraient strictement réglementés à l’intérieur de l’Europe ».

Ce même journal rapporte que, de  par votre position influente au sein du Comité sur l’Environnement, la santé publique et la sécurité alimentaire, vous avez le pouvoir d’émettre des propositions réglementaires et de soutenir une telle intervention législative, ainsi que de nombreux Eurodéputés de plus en plus inquiets par le rôle accru des gaz de roche-mère dans le bouquet énergétique mondial. « L’extraction des gaz de roche-mère a été reliée à de nombreux problèmes environnementaux, tels que la pollution de l’eau, l’usage excessif des ressources en eau et les risques sismiques potentiels. En France, l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures liquides ou gazeux par « fracturation hydraulique » a été interdite et celles pratiquées en Grande Bretagne arrêtées suite au séisme de faible amplitude à proximité des installations de forage ».

« Bien que l’exploitation des gaz produise seulement la moitié des émissions de dioxyde de carbone que génère la production de l’électricité produite par le charbon, une étude de l’Université Cornell a suggéré qu’en réalité les émissions de CO2 engendrées par l’exploitation des gaz est bien supérieur à celle du charbon, puisque les fuites de méthane doivent être prises en compte. Nous devons être très prudents dans ce type d’exploitation vis-à-vis de ses conséquences ».

« Bien que le contenu de la directive sur la qualité de l’énergie ne soit pas encore clairement établi, l’UE possède déjà une réglementation en termes de transport du carburant. Une nouvelle directive devrait imposer des limitations effectives et/ou des pénalités financières de par l’usage du gaz de roche-mère, par le fait des conséquences environnementales qui y sont associées. »

«Un autre hydrocarbure fossile « non conventionnel » doit être légiféré par une telle Directive, tels que les schistes bitumineux. Mais le projet d’une telle Directive sur la qualité de l’énergie va vraisemblablement rencontrer de fortes résistances de la part de l’industrie du gaz, qui insiste depuis des mois pour que le gaz de schiste soit accepté comme une solution « verte » aux côtés des énergies renouvelables. »

« Un rapport de l’Agence internationale de l’énergie a également montré que le gaz n’était pas la « panacée » et que le considérer comme la première source énergétique d’avenir provoquerait un réchauffement climatique de grande ampleur, augmentant les températures bien au-delà des 2 °C perçus par les scientifiques comme la limite de sécurité, au-delà de laquelle les changements climatiques deviendraient catastrophiques et irréversibles »

« Il y a donc conflit entre l’impact environnemental néfaste de l’exploitation des gaz de schiste, en partie couvert par le secret industriel par l’industrie américaine, pionnière dans ce domaine. Plusieurs études sont maintenant en cours, notamment celle de Rajendra Pachauri, Président du Comité intergouvernemental sur le changement climatique, à travers les instituts qu’il préside, et une autre de l’EPA, bien connue ».

En outre, d’après une sérieuse analyse : https://www.facebook.com/gazdeschiste2

Marc Durand, doct-ing en géologie appliquée, Département Sciences de la Terre, Université de Quebec-Montréal explique :

« Une problématique très importante, mais méconnue de l’exploitation des « shales gaziers », se rapporte à ce qu’il adviendra des puits après l’exploitation. Cette question doit être analysée très soigneusement, car il y a un élément essentiel qui  prend une importance considérable dans cette industrie nouvelle : le fait que la fracturation met en branle la mobilisation du méthane dans tout le volume de l’unité géologique, alors que l’on ne va extraire qu’une faible proportion de ce gaz. L’extraction ne se fait que pendant quelques années, mais la migration du gaz amorcée par la fracturation se poursuit pendant un temps au moins mille fois plus long. Le débit est très élevé initialement, mais il décroît sous un seuil où ce n’est plus jugé rentable de poursuivre l’extraction. Le résultat est le même :  chacune des nouvelles fractures constitue une petite zone de grande perméabilité dans le shale. Le méthane et les autres fluides présents vont migrer vers ces fractures. Ce qui a pris géologiquement des millénaires dans les gisements classiques, va se reproduire exactement de la même façon.  Comme toutes les nouvelles fractures sont créées pour ainsi dire ensembles, à ce nouveau temps zéro, on obtient un débit intéressant au départ. Mais il s’estompe très vite. Plus des trois quarts du méthane (80% selon l’Office National de l’Énergie) demeurent en place à la fin de l’exploitation; ce gaz ne se libérera qu’après la fin de l’exploitation. Le shale auparavant étanche, est rendu un million de fois plus perméable par l’opération de fracturation et la pression et la quantité de gaz faisant pression sur le bouchon vont aller en augmentant avec les années, très profondément sous terre, et il n’existe aucune solution technique pour reconstituer le statu-quo alors que le méthane va poursuivre sa migration. Aussi, l’expérimentation en zone habitée, compte tenu de ce qui est probable comme résultats, est tout à fait irréfléchie. »

En outre, il est prématuré de dire que la France a interdit l’exploration et l’exploitation des gaz de roche-mère, puisque la loi adoptée le 30 juin 2011 par le Parlement a autorisé la « fracturation hydraulique » dans le cadre « d’expérimentations aux fins de recherche scientifique » et que quelques unes ont déjà activement débuté dans le cadre d’une concession (Permis de Chaunoy : de 1987 à 2037) et que des expérimentations sans limitation de durée – puisque la loi n’a pas légiféré sur ce point – peuvent déboucher sur l’exploitation.

Par ailleurs, le département politique du Parlement européen vient de publier une étude sur les impacts environnementaux et sur la santé de la fracturation hydraulique http://www.europarl.europa.eu/activities/committees/studies/download.do?language=en&file=41771 . Comme nous nous y attendions, ce rapport entérine ces faits. Il préconise – comme vous le disiez – d’adopter une Directive européenne dans ce sens. Néanmoins, la Directive 2000/60/CEE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établit un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau qui précise que l'eau n'est pas un bien marchand comme les autres mais un patrimoine qu'il faut protéger, défendre et traiter comme tel. Cependant, alors qu’elle argumente sur la nécessité de protéger l’eau, d’améliorer la qualité écologique et chimique des eaux de surface prenant en compte les incidences qui n’auraient pu être raisonnablement évitées du fait des activités humaines ou de la pollution, et vise l’interdiction de l’introduction de polluants dans les eaux souterraines suggère, selon les dispositions suivantes : « les États membres peuvent autoriser la réinjection dans le même aquifère d'eau utilisée à des fins géothermiques. Ils peuvent également autoriser, en précisant les conditions qui s'y rattachent tels l'injection d'eau contenant des substances résultant d'opérations de prospection et d'extraction d'hydrocarbures ou d'activités minières et l'injection d'eau pour des raisons techniques, dans les strates géologiques d'où les hydrocarbures ou autres substances ont été extraits ou dans les strates géologiques que la nature rend en permanence impropres à d'autres utilisations. Ces injections ne contiennent pas d'autres substances que celles qui résultent des opérations susmentionnées ».

Or, n’est ce pas là autoriser alors la « fracturation hydraulique » ?

Aussi, comme vous-même et bon nombre d’eurodéputés sont de plus en plus inquiets par le rôle prépondérant des gaz de roche-mère dans le bouquet énergétique ainsi qu’une large majorité de Français, nous vous demandons eu égard aux risques considérables pour l’eau, l’homme, la terre et les générations futures d’entreprendre aussi rapidement que possible la rédaction d’une Directive européenne interdisant l’intrusion actuelle et future dans les couches millénaires pour l’extraction des gaz et huile de roche-mère par quelque moyen que ce soit et, par avance, Monsieur le Député européen, nous vous en remercions.