Le « Tout CCF » c’est toujours NON !

Eric de Trévarez

/ #85 CCF et pédagogie par projet...

2013-12-20 22:48

Je commence par citer Steve Bissonnette, professeur de psychoéducation et de psychologie à l’Université du Québec en Outaouais : « Ce sont des résultats assez troublants. La réforme a échoué dans ses fondements »

Voici un avis effectivement troublant et une étude intéressante qui révèlent encore une faiblesse des pédagogies nouvelles lorsqu’elles sont introduites de façon outrancière ou lorsqu’elles sont utilisées « politiquement » à des fins regrettables, comme celui de maintenir un taux de réussite, en modifiant les critères d’évaluation… La méthode et le vocabulaire, « pédagogie par projet », « pédagogie de groupe » nous viennent du management et de la gestion, emprunts toujours prisés du pédagogisme et des sciences de l’éducation. Cette étude a été faite au Canada. La différence avec la France, réside dans le fait que « la pédagogie par projet » au Canada, n’a pas fait l’objet d’une introduction dans le système d’évaluation finale comme c’est le cas chez nous. Elle peut encore révéler ses carences, dans sa confrontation aux examens, c’est-à-dire dans un système de sujets où sont évalués en même temps, savoirs et méthode, ce qui n’est plus le cas en France où on a introduit l’épreuve pratique et le CCF ( contrôle en cours de formation), dans l’évaluation finale.

Par pédagogie par projet, on entend les travaux de groupe, les exposés faits en classe, sur un thème proposé par le professeur ou choisi par le groupe d’élèves lui-même. Actuellement certaines classes ne fonctionnent que sur ce mode, le professeur étant une sorte d’animateur, son rôle inductif consiste à encadrer les travaux, a indiquer la direction, a vérifier la méthodologie, contrôler les informations recueillies et leurs pertinences. Ce type de pédagogie a été vivement encouragé. Cependant petit a petit, les travaux de cette pédagogie, sont entrés dans le contenu même de l’examen, sous forme d’épreuves pratiques ou de contrôle continu, toujours sur le même principe du dossier préparé par l’élève ou l’étudiant, et présenté à l’examen. Cependant, il faut le préciser, pour les parents, le contrôle continu signifie souvent moyenne des notes obtenues aux contrôles de l’année et entrant pour un pourcentage défini dans la moyenne de l’examen ; ceci afin de supprimer l’aléa toujours présent dans un examen et avantager l’étudiant qui aura fourni un effort et un travail constant durant l’année ou les années de préparation. Les deux conceptions diffèrent complètement : il faut le souligner.

La pédagogie par projet, part d’un objectif qui peut sembler louable, qui est celui d’amener les élèves, par groupe ou individuellement, à formuler un projet d’étude, sur une période déterminée qui peut être l’année, et qui sera concrètement réalisé sous forme d’un dossier écrit et d’un exposé oral. L’objectif principal est d’amener l’élève, lui-même, à formuler son propre projet. Caractéristiques que l’on retrouve dans l’évaluation des CCF. L’idée qui est privilégiée, est donc un savoir être, accompagné d’un savoir faire.

Il est à noter que la thèse de doctorat, est basée sur ce principe. Cependant quelle peut être l’efficacité d’une telle méthode au niveau du baccalauréat ou d’un BTS ? A-t-on eu raison d’abandonner l’accumulation de savoir et la méthode traditionnelle de contrôle qui avait au moins le mérite de son efficacité ? Il semblerait que l’on ait privilégié à tout prix le savoir être ensemble, basé sur les théories constructiviste. En Europe, construction exige, on ne peut ignorer que les directives éducatives vont dans ce sens.

Les questions qui se poseront, immanquablement, seront les suivantes : que dire globalement et objectivement, de la qualité de ces travaux ? Que dire de la valeur réelle d’un système de diplôme qui maintenant les intègre dans son évaluation ? Que penser aussi des instructions souvent imposées aux examinateurs chargés d’évaluer ce genre de dossier, de justifier par un rapport toute note inférieure à la moyenne (ce qui n’est d’ailleurs écrit dans aucun texte du B.O.) ?

En effet en France beaucoup de candidats obtiennent leurs examens grâce à ces dossiers pratiques qu’ils doivent présenter, et où ils obtiennent de meilleures notes que dans les autres épreuves, car, en fait, il s’agit presque, en résumant et en caricaturant un peu, d’une épreuve où le sujet serait donné d’avance, et où le candidat serait noté pratiquement sur sa seule méthodologie ! Les consignes d’évaluation sont formelles, les examinateurs évaluent des compétences, je cite « l’organisation des priorités de travail » « le planning de travail » « l’autonomie dans l’organisation du travail » « la recherche documentaire » « la collecte d’information » « la sélection des informations » « la pertinence des informations »… Il s’agit donc d’un changement important dans la hiérarchisation des valeurs et des objectifs de l’enseignement lui-même. Cette étude canadienne ne révèle pas pourquoi « la pédagogie par projet » est un échec, d’autant plus que « la pédagogie par projet » est pavée de bonnes intentions, l’élève en construisant son projet est sensé se construire lui-même. On retrouve un des grands principes du pédagogisme et du socioconstructivisme.

Cependant l’Enfer est pavé de bonnes intentions, ce que la pédagogie de ces quarante dernières années semble avoir oublié. Une bonne méthodologie, aussi bonne soi-elle, nécessite toujours la Matière mais aussi la Chronologie et la Hiérarchisation des Savoirs, les grands oubliés de tous ces changements. On pourrait s’en étonner. En effet en privilégiant un dossier, préparé par l’élève, on abandonne toute maîtrise réelle, générale, chronologique et hiérarchisée de la matière, ce qui a été autrefois un formidable outil de compréhension et de mémorisation, tout en étant aussi une méthode efficace de synthèse. Les pédagogies par projet et par groupes sont aussi, et probablement par obligation organisationnelle, des pédagogies par thème. On n’étudie plus par chronologie, l’histoire et la littérature… Cette façon d’aborder les choses provient du fait que les promoteurs du pédagogisme, considèrent que tout se trouve sur internet. Cependant, autrefois, tout se trouvait dans les dictionnaires et les encyclopédies, et on ne procédait pas pour autant de la sorte. On ne peut accepter de justifier ces différences, uniquement parce que les sciences de l’éducation n’existaient pas encore ! Ce qui est certain c’est que les dictionnaires et les encyclopédies n’ont jamais représenté les mêmes enjeux commerciaux !

Pratiquement, dans certaines classes où le professeur procède de la sorte, il ne dépassera pas les premiers chapitres. En effet tous les autres chapitres seront traités sous forme d’exposé par les groupes d’élèves eux-mêmes. A noter que l’enchainement du programme est bousculé, car le planning des exposés n’est jamais respecté à cause des retards, dus au différentiel d’efficacité des groupes.

Pour revenir à la pédagogie par projet telle qu’elle se pratique en France puisqu’elle est incluse dans l’évaluation de l’examen, les dossiers sont évalués sous forme d’exposés oraux, selon le critère unique de la compétence, la nuance n’est pas négligeable, il ne s’agit plus d’évaluer des savoirs… Les notes obtenues sont intégrées dans les autres notes de l’examen, suivant des proportions plus ou moins grandes, ce qui contribue finalement à doper à la hausse, les taux de réussite. L’appellation de ces dossiers est valorisante, comme s’est souvent le cas maintenant quand il s’agit de faire passer quelque chose de discutable : dossiers pratiques où bien CCF, contrôle en cours de formation. Il est difficile, sur le plan symbolique, comme je le fais actuellement (…), de poser un regard critique sur des dossiers qui portent le beau qualificatif de pratiques ou sur un contrôle qui s’affiche dans la plénitude du mot continu. Les promoteurs du pédagogisme ont su emprunter au marketing non seulement son vocabulaire mais aussi ses méthodes de promotion. L’étude canadienne a le mérite de révéler que derrière ces nouveaux critères d’évaluation, se cache en réalité une pédagogie qui est beaucoup moins productive que les méthodes classiques. Chez nous c’est plus vicieux, car la pédagogie par projet a permis par un abaissement des exigences, de maintenir des taux élevés de réussite aux examens. C’est le résultat de l’intégration des travaux de la pédagogie par projet dans les critères d’examen et dans l’attribution des diplômes. Elle cache en réalité derrière un système d’évaluation carencée, l’effondrement du niveau.

En effet et je n’aurais pas la prétention de faire ici une analyse que les canadiens n’ont pas faite, se limitant à dire : « sur le plan politique, cette étude peut être effectivement agaçante pour plusieurs ». Chez nous s’est simple, toute analyse critique, dans le domaine, est frappée d’infamie !
Cependant, parmi les facteurs d’échec, n’y aurait-il pas la priorité absolue donnée à la recherche sur la réflexion, ou bien n’y aurait-il pas aussi le fait de privilégier absolument le thème ( sujets classées par critères sociologiques ou autres) au lieu de la chronologie, ou bien n’y aurait-il pas aussi pour couronner le tout, encore et toujours, ce constructivisme (l’élève doit construire lui-même son propre savoir et son savoir être ensemble) qui est devenu le dogme de l’enseignement en France. Tout cela faisant table rase de l’enseignement fondamental et dirigiste des savoirs, de leur chronologie et de leur hiérarchisation, dans un ensemble que l’on qualifiait autrefois de connaissance (soyons sérieux, le professeur étant et restant le plus à même de construire la chronologie, la hiérarchisation des savoirs et la connaissance chez l’élève, en exigeant déjà comme base de la compétence, un savoir minimum).

Ce déséquilibre dans la hiérarchisation des valeurs pédagogiques est une caractéristique du pédagogisme. Ce déséquilibre qui entraine d’ailleurs une confusion entre savoir, connaissance et compétence, est probablement responsable des carences des élèves, particulièrement au niveau de la réflexion, qui se traduisent par l’incapacité que l’on rencontre chez la majorité d’entre eux, de faire la moindre synthèse ou d’exploiter correctement les informations recueillies sur internet. Effectivement, encore faut-il maîtriser un ensemble minimum de mots clés basiques et hiérarchisés, c’est-à-dire un minimum de connaissance, pour utiliser correctement un moteur de recherche. Nos spécialistes des « sciences de l’éducation », en visant trop haut, avec de trop belles idées, enrobées dans un vocabulaire et des méthodes qui se veulent à tout prix en rupture avec le passé, sont tombés dans l’utopie pédagogique !


Eric de Trévarez