audiovisuel, territoire oublié

Dans une récente déclaration au journal Le Monde, Aurélie Filippetti, ministre de la Culture, estime que la régionalisation de France 3 serait « trop coûteuse ». Dans ce contexte, il est essentiel de rappeler que la production audiovisuelle et cinématographique en régions est un «territoire oublié » de la décentralisation.  Les chiffres sont accablants : en 2010, 94% des rémunérations des artistes et techniciens, permanents et intermittents, de l'audiovisuelle et du cinéma (source Audiens) ont été versées par des producteurs franciliens. Les chiffres plus anciens, de 2000, sont quasiment identiques, la tendance à la centralisation de cette filière est d'une consternante stabilité. Ce constat est d’autant plus paradoxal que, dans la même période, les collectivités territoriales ont fortement augmenté leurs soutiens au cinéma et à l’audiovisuel. On assiste donc à une forte « captation » des financements régionaux, par des acteurs économiques issus quasi exclusivement d’un unique territoire.
Aucune autre forme d’expression artistique n'a concentré à ce point son mode de financement et de décision : le théâtre, la danse, les musiques classiques ou actuelles, les arts visuels, l'architecture se financent  de manière plus équilibrée, sur tous les territoires. Mais pour l'audiovisuel ou le cinéma, une seule région prime et tend à exclure les professionnels implantés hors d’Ile de France.

L'enjeu ne se limite pas à une question d'aménagement du territoire et de coût Mais bien plus, à l'enjeu central de la diversité et de la création culturelle. Une seule région ne peut suffire pour embrasser les expressions, les sensibilités, les spécificités d'un pays si divers que le nôtre. La pluralité des points de vue, l’expression de la diversité de tout un territoire sont les clefs de l'exception culturelle française.

La séquence politique qui s'ouvre avec l'élection de François Hollande doit être marquée, selon son programme, par « l'acte III de la décentralisation ». Belle ambition ! Et comme les actes I et II sont passés à côté du cinéma et de l'audiovisuel, l'occasion est venue de s'y mettre. La ministre de la Culture s'est également déclarée « l'ambassadrice de la diversité » et Marylise Lebranchu, ministre chargée de la décentralisation estime que « La réforme de l’action publique est un chantier majeur ». L'Etat dispose de moyens puissants pour mener cette décentralisation culturelle avec France Télévisions, le CNC, les contrats Etat/Région et d'autres institutions relais. Les villes, les collectivités locales et territoriales sont des partenaires actifs et responsables de la politique culturelle. Elles le prouvent largement par leurs engagements dans le financement du cinéma et de l'audiovisuel.

Pour  se débarrasser du « réflexe parisien », il y a donc du grain à moudre ! Seule une politique volontariste peut faire varier le curseur de la décentralisation. Côté audiovisuel, l'acteur majeur est à France Télévisions avec France 3, une « chaîne des régions » encore enfermée dans un modèle issu d’une conception du régionalisme des  années Pompidou : seulement 15 heures hebdomadaires de programmes régionaux dont 10 d'information et moins de 5% de ses programmes conçus et produits en régions. Il faut donc envisager une nouvelle phase de développement qui devra s’appuyer sur une véritable régionalisation de France 3 avec une politique de production et de création autonome, à la mesure de l'intense activité de création culturelle qui se développe sur tout le territoire.

Les professionnels constatent que l’ouverture des antennes régionales de FR3 au milieu des années 90 et la montée en puissance du soutien des collectivités régionales ont permis, à contre courant, un développement du secteur audiovisuel et du cinéma « au-delà du périphérique ». La création en régions compte aujourd’hui des dizaines de sociétés de production reconnues qui s’appuient sur des d'auteurs, des réalisateurs, des  comédiens et des équipes techniques. Le potentiel régional est considérable : documentaires, films et séries d’animation, captations de spectacle, courts et longs métrages, fiction TV se tournent tous les jours sur l’ensemble des territoires. Il est donc temps de passer à un autre modèle de production qui s'enrichisse de la créativité et du savoir faire de tous.

 

Nous, professionnels de l’audiovisuel et du cinéma en régions, appelons à la mise en place d'une politique active de décentralisation audiovisuelle et cinématographique de la part du CNC et de France Télévisions en s’appuyant, entre autres, sur le développement d’une télévision publique régionale dotée de moyens de production et d’espaces de diffusion correspondant enfin à la réalité et aux richesses des territoires dans lesquels elle est implantée.